Ne croyez jamais ceux qui affirment me connaître. Personne, je dis bien personne, ne peut affirmer savoir qui je suis, ce qu'il se passe dans ma tête. Pas même lui. Et ce n'est pas forcément parce que je suis une vampire âgée de presque un millénaire, non, ne croyez pas ça. Je pourrais citer plusieurs anciens dont la vie est connue de tous. Mais aujourd'hui, je vais faire l'effort de dévoiler ma vie.
Mes parents, tout d'abord. Leur histoire ressemble à un conte de fée. Ils se sont connus plus de mille cinq cent ans avant ma naissance, en des temps reculés, presque oubliés. Ma mère est issue d'une petite famille moyennement importante de vampires lamis originaires de Grèce, et mon père, lui, est l'un des descendants de la famille Bennet, grande famille anglaise qui s'étend sur des générations et des générations. Ils n'auraient jamais dû être ensemble, mais pourtant, dès l'instant ou leurs regards se sont croisés, ils ont su que jamais plus il ne se quitteraient. Du moins, c'est ce que ma mère aimait me dire. A l'époque, mon père était promis à une autre, mais il rompit leurs fiançailles. Cela manqua de déclarer une guerre entre les Bennet et l'autre clan, mais mon père empêcha ça en tuant sa promise. Oui, je sais, ce détail vous horrifie, mais c'était très fréquent à l'époque. Quand un membre d'une famille moins puissante décevait quelqu'un de plus fort, ou se mettait en travers de sa route, on le supprimait. Cette situation manqua maintes fois de déclencher des guerres sanglantes, et il fallut attendre longtemps avant qu'enfin quelqu'un – moi – interdise cette « règle ».
Mais il se trouve que tout ce que ma mère me racontait était faux. C'était elle, la promise, eux le mariage arrangé, et jamais mon père n'a essayé d'y changer quelque chose, parce qu'il n'avait pas le courage d'affronter ses parents.
Ils n'ont eu qu'un enfant, moi, il y a environ huit cent ans maintenant. J'ai vu le jour à Athènes, mais nous avons rapidement quitté la Grèce, car leur rôle politique les obligeaient à partir en Angleterre. J'ai toujours été leur petit trésor, leur petite merveille, et ils m'aiment réellement, malgré toutes les erreurs que j'ai pu faire. Malheureusement dès le début, j'étais là pour une raison et une seule : siéger au conseil Prodigium, réunion qui regroupe tout les représentants des plus grandes familles de chaque espèce, à la place de mon père. S'il n'y avait pas eu ça, mes parents ne m'auraient sûrement jamais eu – les vampires n'aiment pas trop les gosses, et ce n'est pas comme s'ils s'aimaient passionnément. Mais moi, je ne voulais pas de ça. C'était trop de responsabilité, trop de poids sur mes épaules, trop vite, trop tôt. Alors j'ai fait ce que l'on fait tous à un moment donné : j'ai fuis. Pendant des centaines et des centaines d'années, j'ai voyagé, découvrant le monde, partant à la découverte d'autres cultures, d'autres paysages. J'ai passé une grande partie de ma jeunesse en Grèce, car ce pays à toujours été pour moi le plus beau, le plus merveilleux, et il est ma patrie, sans hésitation. J'étais la représentation même de tout les excès. Pour les ancêtres, les vieux Prodigiums, j'étais rien moins qu'une catin juste bonne à prendre du plaisir et à approcher sans cesse la limite. En effet, bien que je ne compte à mon actif aucun dérapage, bien que je n'ai jamais laissé de cadavre exsangue derrière moi, je n'hésitais pas à utiliser de mon charme et de mes pouvoirs pour mener par le bout du nez les humains, que ce soient des hommes ou des femmes, à les hypnotiser pour mon plaisir personnel.
J'étais impossible à suivre, impossible à cerner pour ces vieux rabougris incapable de bouger de leur siège, après des millénaires à y être restés assis sans rien faire. Pendant des siècles et des siècles, je n'ai été qu'une paria, une honte pour ma famille et mon espèce, une gamine à qui l'immortalité et la richesse étaient montés à la tête. C'était sûrement le cas, je ne le nie pas. Mais il n'y avait pas que ça. J'ai toujours été différente, j'ai toujours été en avance sur les autres, sur mon temps. Très vite, j'ai été éprise de liberté, et poussée par l'envie de fuir, de m'éloigner de cette vie toute tracée pour moi, je n'ai pas hésité à partir, à tout abandonner derrière moi, en me foutant royalement des conséquences de mes actes. Et croyez-moi, à cette époque, ça ne se faisait pas. Vous pouvez demander.
Mes pouvoirs se sont manifestés très tôt, et je les ai développés très rapidement. Il ne m'a fallu que quelques siècles pour pouvoir lire dans l'esprit humain, et à peine quelques décennies pour le contrôler en un claquement de doigt. Pendant longtemps, j'en ai abusé, n'hésitant pas à contraindre mes victimes quand elles avaient le malheur de refuser mes avances, lisant dans leur esprit pour trouver des proies plus faciles d'accès. Est-ce que ça faisait de moi un monstre ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est qu'aujourd'hui, je me sens coupable de la façon dont j'ai agis en ce temps-là, et que mes victimes sont consentantes, même si je les pousse à oublier à chaque fois. Je suis en effet l'un des seul vampire à me nourrir fréquemment sur des humains, et ça doit bien être la seule chose qui prouve que je suis bien plus vieille qu'on pourrait le croire.
Pendant plus de 600 ans, ça a été comme ça. Et puis j'ai commencé à me rapprocher peu à peu de l'Angleterre, à me rapprocher de la maison. Mon dernier voyage avant que tout bascule a été la France, Paris, et j'ai tellement adoré cet endroit que j'y suis resté plus de quatre-vingts ans. Puis j'ai franchi la Manche... Je suis arrivée en Irlande. Et tout mon monde a basculé. C'est cucul, idiot, stupide, tout ce que vous voulez, mais je suis tombée désespérément amoureuse d'un humain, d'un simple jeune homme. Aujourd'hui encore, je me demande pourquoi. Qu'avait-il de si particulier pour me retourner le cœur de la sorte ?
Je n'avais rien ressentis de tel avant, rien d'aussi fort, d'aussi puissant. C'était à la fois envoutant et destructeur, incroyablement enivrant et horriblement douloureux. Je ne sais pas comment décrire ça, mais si vous avez un jour connu un amour passionnel, tellement bon qu'il a pu vous détruire, alors vous savez de quoi je parles. Je ne vivais, je ne respirais que pour lui, je ne voyais que lui. Cet homme, il s'appelait Alexander, et ces quelques mois passés avec lui ont été les plus beau de ma vie. Mais il a bien fallut que je revienne un jour à la réalité, et il n'y avait pas de contrôle d'esprit avec lui. Il n'a pas mis longtemps avant de se rendre compte que quelque chose clochait chez moi, et j'ai vite senti ses questionnements silencieux. C'était trop dur de lui mentir en face. Alors j'ai fini par lui révéler ma véritable identité. Parce que je l'aimais trop pour l'abandonner. Ce que j'ai pu être égoïste. Pour une fois, j'aurais mieux fait de m'inquiéter des conséquences au lieu de ne penser qu'à moi. Pour une fois, j'aurais du réfléchir un peu. Mais allez dire ça à une vampire irresponsable de six cent ans.
Bien sûr qu'il n'a pas fuit. Bien sûr qu'au début, il a eu peur, mais il a vite surmonté ça. Il s'en fichait, de ce que j'étais, du moment que je le laissais être humain. C'était dur pour moi d'accepter de le voir vieillir, mais je ne perdais pas espoir, il me restait encore plusieurs mois avant qu'il atteigne l'âge fatidique de vingt-cinq ans, je pouvais lui faire changer d'avis. Sauf que ça ne s'est pas du tout passé comme prévu. Mes parents m'ont retrouvé, ils ont découvert la vérité. Ils ne voulaient pas me voir mourir, ils m'ont obligé à le transformer. Au début, je leur ai tenu tête. Je préférais mourir plutôt que de blesser Alex au plus profond de lui. Mais il s'en ai mêlé. Il voulait me sauver, quel qu'en soit le prix. Alors je l'ai transformé, contre sa volonté. Il faisait ça pour me sauver, parce qu'il m'aimait, mais il n'a jamais pu s'en remettre, jamais pu me pardonner. On a du faire un choix. Soit il partait, il s'éloignait de moi parce que je le rendais complètement fou, soit il oubliait.
Pourquoi ais-je choisi de lui faire oublier ? Comment ais-je pu un seul instant envisager cette idée ? J'aurais du dire non. J'aurais du être forte, le laisser s'en aller. Mais j'avais bien trop besoin de lui, il était l'essence même de mon existence. Alors nous avons fait appelle à une sorcière... et il a tout oublié. Toute sa vie humaine, tout nos moments passés ensemble, tout nos instants d'amour. C'était le prix à payer. Je suis retournée vivre avec mes parents, brisée, et à son réveil, nous lui avons mentit ouvertement, prétendant l'avoir trouvé ainsi.
Malgré tout, cette histoire a eu du bon. Elle m'a fait grandir, murir, devenir adulte. Sans ça, je serais sûrement encore une gamine irresponsable et inconsciente. Mais je regrette tellement tout ça, cette erreur, la pire de toutes. Tout ce que j'ai pu faire avant n'est rien comparé à ce que j'ai fait à Alex, à ce que je nous ai fait, à ce que je me suis fait. Aujourd'hui encore, l'observer est une torture constante.
Et pourtant, nous sommes restés ensemble. J'ai repris mes voyages avec lui, lui faisant découvrir le monde. Il s'est très vite attaché à moi, et ça me fait mal quand je repense à tout ce que nous avions, à tout ce que j'ai perdu, même si je me dis qu'il ne serait peut-être plus à mes côtés si tout ça n'était pas arrivé.
Puis il a été temps pour moi de prendre la succession de mes parents au conseil. Je n'ai pas rechigné, car j'avais enfin compris que c'était ma place. Entre-temps, j'avais appris à discerner le bon du mauvais, et je peux affirmer que j'ai changé pas mal de chose. Malgré mon passé, je suis aujourd'hui respectée, représentative d'une nouvelle époque pour les Prodigiums.
Quand j'ai eu l'idée de créer Night Hall, Alex a été d'un réel soutient morale. Ce projet est tout autant le sien que le mien. Il avait pour but d'aider les jeunes en difficultés, comme j'ai pu l'être à un moment. J'ai l'espoir que cette école a pu changer des vies, a pu éviter des erreurs qui auraient pu leur couter la vie, ou couter la vie à un être cher. Aujourd'hui, je suis incroyablement fière de ce projet, qui n'a pas été facile à mettre en place. Je sais que certains anciens me voient du mauvais œil, comme une menace. Je m'en contre fiche. S'ils veulent se battre, je ne reculerais pas.